LE MÉTIER DE STYLISTE CULINAIRE

Louis PERRIN

31/05/2022

Il vous est déjà sûrement arrivé, lorsque vous regardiez un film, de saliver devant les plats dont semblent se régaler les acteurs. Les poulets, gâteaux, viandes et autres plats paraissent délicieux, et sont fait pour ! En effet, depuis quelques décennies maintenant, il est de plus en plus commun de faire appel à des personnes dont le métier est de mettre en valeur les plats que l’on voit à l’écran : ce sont les stylistes culinaires !

Ce sont eux également qui rendent certaines publicités de nourriture irrésistibles, c’est un métier qui a le vent en poupe de nos jours, particulièrement aux États-Unis. Mais en quoi cela consiste-t-il vraiment ? Le poulet que l’acteur mange, est-ce vraiment du poulet ? Est-ce au moins de la viande ? Quels sont les principaux défis que peut rencontrer un styliste culinaire sur un tournage ? Tant de questions qui méritent d’être éclaircies.

 

    Le métier de styliste culinaire est relativement récent, il semblerait qu’il soit apparu aux alentours des années 1990. Avant cela, jusque dans les années 1970 environ, les personnes qui s’occupaient de faire à manger sur le plateau étaient des employés qui possédaient un diplôme d’arts ménagers, généralement des femmes. Le rôle a fini par incomber aux accessoiristes, qui, selon Chris Oliver, une styliste culinaire réputée aux États-Unis, « ne savaient même pas faire cuire des spaghettis ». D’après elle toujours, les accessoiristes demandaient à leur femme ou petite amie de s’atteler à la tâche à leur place, finissant même par les engager directement.

En parallèle, ces années 1990 sont aussi celles d’une évolution des séries télévisées américaines qui, riches de moyens plus conséquents, commencent à filmer avec plusieurs caméras en même temps. De fait, la nourriture devenait beaucoup plus visible à l’écran et il était beaucoup plus compliqué qu’elle ne soit pas réelle. Combiné à une évolution des mentalités en termes de consommation (les acteurs s’affirment de plus en plus végans, certains veulent consommer sans gluten ou sans lactose) les demandes de nourritures sur un plateau sont devenues de plus en plus spécifiques et complexes. C’est à partir de ce moment que le métier de styliste culinaire est devenu un métier à part entière qui, du fait de son histoire (notamment aux États-Unis), est principalement réalisé par des femmes. Ainsi, Chris Oliver explique qu’elle « connait au moins 5 stylistes culinaires qui, à un moment de leur vie, entretenaient une relation avec des accessoiristes ».

    Aujourd’hui, il n’y a pas de formation spécifique pour devenir styliste culinaire. Il est évident qu’il faut de solides bases en cuisine (voire un diplôme dans le domaine) et, comme pour la plupart des métiers du milieu, surtout aux Etats-Unis, il peut être très utile d’avoir des relations. Quoiqu’il en soit, tout le monde commence en tant que stagiaire et gravit les échelons pour devenir styliste. C’est un métier exigeant puisque, au-delà de savoir faire à manger, il faut également savoir travailler sous pression tout en étant créatifs.

Chris Oliver pour le film Dans l’ombre de Mary

En effet, les stylistes culinaires rencontrent de nombreux défis propres au milieu du cinéma, le premier est la durée d’un tournage. Il n’est pas rare que le tournage d’une scène dure plusieurs heures car cela prend du temps de trouver la bonne prise, de filmer la situation sous plusieurs angles et d’avoir assez de contenu pour être sûr de passer à la scène suivante. Pour certaines cela peut aller jusqu’à une journée entière de tournage ! Pendant ce temps, peu importe le type de nourriture qu’il y a sur le plateau, celle-ci va se dégrader et cela pose deux principaux problèmes : elle ne va pas paraître fraîche à la caméra, et cela peut devenir un risque pour les acteurs de la manger. Pour le premier point, si la nourriture n’est pas destinée à être consommée elle peut être fausse, ou alors le styliste culinaire peut s’occuper de la rendre fraîche d’aspect avec des astuces bien connues, asperger d’eau entre autres. Mais lorsqu’un acteur ou une actrice doit la manger, ce genre de subterfuge n’est pas envisageable.
Pour pallier ce problème, la première solution est la plus évidente : prendre de grandes quantités. Sur le tournage de Midsommar de Ari Aster notamment, Zoe Hegedus, styliste culinaire du film, a dû faire face à un défi de taille. Comme le film est centré sur une période de fête, il y a beaucoup de repas mis en scène pour un grand nombre de personnes. Pour assurer, elle a préparé plus d’une centaine des petites tourtes à la viande que l’on voit dans le film. Le plus grand défi ici a été de réaliser des tourtes qui soient comestibles malgré l’un des étés les plus chauds qu’ait connu la Hongrie (pays où le film a été tourné). Pour répondre à cette problématique, Zoe Hegedus a réalisé un mélange de gruau et de poudre de coco pour le goût, en effet, si elle n’avait rien mis à l’intérieur, les tourtes se seraient affaissées et n’auraient pas été crédibles. Le problème s’est avéré encore plus complexe sur les jaunes d’œufs, il était impossible pour de nombreuse raison d’en utiliser des vrais. La chaleur les aurait séchés quasiment instantanément, une partie du casting ne mangeait pas d’œuf… Une fois de plus Zoe Hegedus a dû composer, notamment avec des sphères comestibles de mangue et d’orange.

Un autre aspect qui peut nous concerner lorsqu’il s’agit de denrées sensibles à la température (fruits de mers, viandes entre autres) est l’aspect sanitaire. Par exemple lorsqu’une dinde est sur le plateau pour un repas de Thanksgiving, il faut en prévoir nombre d’autre pour être sûr qu’aucun acteur ne puisse être atteint d’une intoxication alimentaire. L’exemple le plus intéressant et celui de la glace, avec la chaleur qui règne sur un plateau de tournage à cause des lumières et de tous les appareils utilisés, il est tout bonnement impossible de consommer une glace, même pour la durée d’une scène. Mais elle doit toujours avoir cet aspect propre, avoir l’air de fondre et pouvoir être consommable par quelqu’un. L’astuce ici est la plupart du temps d’utiliser du beurre et du sucre.

Enfin, on peut également rencontrer des problèmes selon l’endroit où l’on se trouve. Si l’on revient sur Midsommar et Zoé Hegedus, comme il a été dit, le film a été tourné en Hongrie. Or le film se passe en Suède, pays où le hareng abonde, ce qui n’est pas le cas du pays de tournage. Lors d’une scène, le personnage principal est forcé de manger un hareng entier, cela a été d’une difficulté extrême pour Zoé Hegedus car elle ne trouvait simplement pas de hareng entier si loin de la Suède. Dans ces cas-là, une qualité du styliste culinaire doit ressortir : le talent pour l’improvisation.

Table de thanksgiving par Zoé Hegedus

    C’est un talent dont a dû user Melissa McSorley lors du film Danny Collins avec Al Pacino. Pour les besoins du film elle a réalisé un gâteau à l’effigie de l’acteur, comme celui-ci ne devait pas être mangé, il a été essentiellement fait en polystyrène. Malheureusement un tournage ne se passe jamais comme prévu et il arrive que les réalisateurs changent d’avis, ce fut le cas ici. Il a fallu que Melissa McSorley trouve une solution rapidement, le problème étant également que le gâteau ne pouvait pas être coupé au couteau mais uniquement à la scie. Une fois fait il a fallu couvrir les parties de polystyrène exposées puis que des personnes aillent acheter des gâteaux qui paraissaient similaires pour que les acteurs puissent manger à l’écran. Beaucoup de difficulté pour un changement de dernière minute. Devoir improviser n’est pas seulement l’apanage des jours de tournages, il arrive parfois que les stylistes culinaires doivent utiliser ce talent avant même que celui-ci ait commencé.

 

    En effet, il leur faut parfois une imagination débordante pour répondre au besoin d’un film ou d’une série. Et Mélissa McSorley n’en est pas à son coup d’essai lorsqu’il s’agit de rendre comestibles des denrées qui ne sont pas censées l’être. Elle a notamment beaucoup travaillé sur le tournage de True Blood où elle s’occupait de faire le sang que les vampires boivent de manière répétée tout au long de la série. Il est possible de boire du faux sang, il n’est généralement pas toxique, mais ce n’est pas fait pour une consommation aussi élevée que pour le tournage de True Blood. Rendre ce sang le plus réaliste possible a été pour Les principaux défis qu’elle a dû relever, pour rendre son faux sang le plus réaliste possible : la couleur, une fois sorti des films de Tarantino, il parait évident que le sang n’est pas parfaitement rouge. Il a donc fallu travailler un mélange de rouge et de bleu pour obtenir la couleur parfaite, une fois cela obtenu il faut travailler à obtenir une texture qui se rapproche le plus possible du sang, quelque peu visqueuse et surtout, veiller à avoir un assez bon goût pour ne pas dégoûter les acteurs qui en ont bu énormément sur le tournage de la série.

    

Enfin, il arrive que les stylistes culinaires travaillent sur des projets de nourriture qui ne va finalement pas être mangée, ce fut le cas pour Mélissa McSorley qui dut réaliser…. Des intestins de poulet ! Une fois la raison dévoilée cela parait évident, les acteurs devaient manipuler ces intestins, ainsi que les organes du poulet, il a été décidé de les retravailler pour éviter tout risque d’infection alimentaire de la part des acteurs. Une fois encore ici aussi le travail de recherche a été considérable, Mélissa McSorley, après de nombreuses recherches, a remarqué qu’il arrive parfois que l’on trouve des embryons d’œufs à l’intérieur d’une poule et a décidé de les reproduire avec des kumquats, preuve encore s’il en fallait qu’être styliste culinaire nécessite une imagination débordante.

 

Lors d’un tournage, pour les besoins de cette imagination mais également car il n’est pas acceptable de manquer de quoique ce soit sur un plateau, les stylistes culinaires ont tendance à prévoir des quantités considérables de nourriture. Mais ce qui reste n’est pas jeté ! Comme tout ce qui n’est pas utile est au frais lors d’un tournage, Oliver explique qu’elle utilise ces restes pour d’autres tournages et, si cela devient trop vieux, qu’elle les confit dans de la vodka. Pour des aliments plus périssables, elle en fait don aux associations, il est même arrivé qu’elle donne un espadon entier ! Néanmoins, la nourriture qui a été utilisée et pas mangée par les acteurs, ne connaît pas un aussi bon sort, même s’il arrive qu’elle nourrisse certains membres de l’équipe de tournage.

 

    Le métier de styliste culinaire est un métier jeune, principalement en vogue aux États-Unis et ne concerne pas uniquement le cinéma. Il semblerait que l’importance des séries télévisées soit cruciale pour son avènement tant leur popularité depuis les années 1990 n’a cessé de croitre. C’est un métier qui est encore à ses balbutiements en France mais il y a fort à parier que ce n’est qu’une question de temps avant qu’il s’exporte totalement et s’épanouisse (peut-être d’une autre manière) dans le pays de la gastronomie.